Il y a 10 ans seulement, et plus précisément le 19 avril 2008, disparaissait à l’âge de cent ans une femme dont on n’a pas beaucoup entendu parler. Elle a fait cependant l’objet d’une cérémonie de Panthéonisation très particulière, ainsi que le relate cet article.Germaine Tillion a traversé l’enfer des camps d’extermination nazis, mais elle en est sortie vivante. Elle a continué son combat contre l’oubli et contre toutes les violences, animée seulement par son amour pour la vérité.
Ethnologue de formation, elle a suivi l’enseignement de Marcel Mauss, un des grands piliers de l’ethnologie française, qui lui confia, alors qu’elle était toute jeune encore, la mission d’étudier une tribu berbère semi-nomade dans une région montagneuse du Sud-Est de l’Algérie. C’est un voyage à l’aube de l’humanité. Germaine vit dans une grotte et partage la vie primordiale de cette population qui l’a acceptée. Six ans s’écoulent ainsi dans l’étude méticuleuse de ce peuple pour lequel elle gardera toujours une amitié et un respect sans fin dont elle fera encore preuve avec grand courage des années plus tard, aux heures les plus sombres de l’Algérie.Rentrée en France en 1940, elle est choquée par l’armistice demandé par le Général Pétain.
Elle refuse la soumission au régime nazi et prend contact avec des gens qui partagent sa conviction. Petit à petit, le groupe de résistants s’élargit à Paris et devient opérationnel sous le nom du Réseau du Musée de l’Homme. Après une trahison, le jeune chef du réseau est arrêté et fusillé. Germaine prend sa place avec énergie et courage, mais elle aussi est arrêtée quelques mois plus tard, en août 1942. Elle échappe de peu à la peine de mort, et est enfermée dans la prison de Fresnes pendant un an avant d’être envoyée sous le sigle NN (Nacht und Nebel)[1] dans le camp d’extermination de Ravensbrück. Dans cette situation inexprimable, elle arrive pourtant à remonter le moral des prisonnières pour essayer l’impossible : survivre. Le miracle se produit et en avril 1945 toutes les déportées de Ravensbrück sont prises en charge par la Croix Rouge suédoise.
Après la lutte pour la survie, Germaine entame la lutte pour témoigner contre l’oubli. Elle passe neuf ans à récolter les témoignages, à reconstituer les dossiers avec les noms et les parcours des déportés. Elle suit avec déception les procès contre les rares nazis incriminés, puis, en 1951 elle fait partie de la commission qui mène une enquête sur les crimes de Staline et les goulags soviétiques. En 1954, François Mitterrand, alors ministre de l’Intérieur, lui confie la mission d’aller en Algérie pour comprendre la cause de la violence qui oppose la population locale aux résidents français. C’est là-bas que Germaine, vouée de nouveau à la cause algérienne, déploie toute son énergie pour essayer en vain de bloquer la vague déferlante des arrestations, tortures et meurtres. Un déchirement mortel l’accable en assistant aux massacres et aux injustices, alors qu’elle plaide la cause de la liberté et de la paix. Elle continue de voir les décideurs, de convaincre les hommes politiques et d’envoyer au Général de Gaulle des comptes rendus sur la situation réelle des Algériens pour l’inviter à réduire le pouvoir des militaires.En 1958 elle est nommée directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études où elle enseigne l’ethnologie arabo-berbère. Elle recommence à travailler sur le terrain en parcourant plusieurs pays. En juillet 1962, l’Algérie devient indépendante, mais Germaine est à nouveau consternée, la France ne fait rien pour accueillir les Français obligés d’abandonner l’Algérie en toute hâte, comme elle ne fait rien pour sauver les Harkis[2] voués à la mort dans leur pays et ignorés par la France. Elle répète « Il ne peut pas y avoir de réconciliation sans justice »: en effet la longue guerre d’Algérie a produit plus de 500 victimes civiles, 30 000 soldats français morts et 250 000 blessés revenus en France. De 1965 à 1972 elle reprend son métier d’ethnologue, puis elle se retire dans sa propriété en Bretagne, mais sans oublier son engagement pour affirmer le rôle capital de la femme à côté de l’homme, surtout dans les cultures du pourtour méditerranéen.
Soucieuse de la vérité, Germaine Tillion a été la protagoniste des grands combats pour sauvegarder la dignité de l’homme, inséparable de la liberté. C’est pourquoi le président François Hollande a voulu lui rendre hommage en décrétant le transfert de sa dépouille au Panthéon en 2015. Mais la famille a préféré qu’elle reste dans sa sépulture d’origine, tout comme celle de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, nièce du général de Gaulle, elle aussi élevée à l’honneur du Panthéon comme résistante.
Détail curieux: les deux femmes réunies par cet hommage de la patrie avaient partagé la détention dans le même camp et étaient liées par une amitié à toute épreuve.On signale à ce sujet la très riche biographie de Germaine Tillion rédigée par Janine Teisson, Oskar éditeur, 2010.